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Beyrouth en mode art

Du 20 au 23 septembre 2018, Beirut Art Fair signe sa neuvième édition. Un millésime de créativité, de joie et d’excellence.

 

Beyrouth attend sa foire d’art annuelle avec ferveur. Ce rendez-vous, devenu incontournable à la rentrée des vacances, sonne la reprise de l’activité dans la fourmilière libanaise, après un abandon lascif aux rayons du soleil estival. Pourtant, pendant que les cigales chantaient et se délassaient, les contours de la neuvième édition de Beirut Design Fair se dessinaient et se matérialisaient grâce au travail assidu d’une équipe experte et soudée.

 

Beaucoup de nouveautés dans l’approche et dans l’exigence pour répondre aux attentes d’un public de plus en plus nombreux au Liban et au-delà des frontières. Cette neuvième édition connaîtra en effet un accroissement de 45% des surfaces d’exposition et près de 32 000 visiteurs sont attendus, avec la participation d’un nombre plus important de galeries internationales. Pour répondre à cette demande grandissante, BAF se dote des moyens humains et matériels nécessaires.

 

Le comité d’experts pour la sélection des participants continue cette année à exercer ses compétences. Son rôle se voit consolidé par l’arrivée de Joanna Abou Sleiman Chevalier en qualité de special advisor. Commissaire d’exposition et référence incontournable de la scène de l’art contemporain, cette Franco-Libanaise porte, par sa double appartenance, un regard à la fois connaisseur et extérieur sur la création libanaise. Pour accueillir son public avec la même émulation et faire de la visite une véritable expérience artistique et sensorielle, BAF inaugure dans cette neuvième édition une scénographie inédite signée Patrick Boustani, architecte et urbaniste de renom.

 

Pleins feux sur la photographie

 

Ce dernier réinvente l’espace d’exposition qui se déploie sur une surface totale de 5500 m² dans le hall 3 du Sea Side Arena (anciennement BIEL). Sa proposition invite la ville de Beyrouth dans un exercice de mise en abyme. L’accès principal du BAF s’excentre sur la façade latérale et s’ouvre sur une vue d’ensemble à la manière d’un cityscape. Ce large panorama permet au visiteur de choisir un itinéraire privilégié et de s’engager dans une sorte de flânerie artistique ponctuée d’aires de repos, en prenant son temps pour contempler une œuvre, pour  s’imprégner de l’univers d’un artiste, à un rythme muséal.

 

Au centre de ce dispositif, BAF 2018 braque les projecteurs sur la photographie avec une exposition Focus intitulée Across Boundaries. Sur près de 500 m², la photographie s’affranchit des préjugés et s’affiche dans une maturité artistique éclatante. D’une envergure inédite, cette exposition porte une vocation muséale et installe dans un dialogue transgénérationnel une centaine d’œuvres représentatives de la production photographique libanaise, des années 1900 à nos jours.

 

Tarek Nahas, curateur de l’exposition et grand collectionneur de photos, assisté de Marine Bougaran et de Laurence Nahas, a mené sur plus de deux ans un minutieux travail de recherche et de sélection d’œuvres photographiques libanaises, certaines appartenant à des collections privées prestigieuses et d’autres à des collections institutionnelles, comme celles de l’AUB ou de la Fondation Saradar, ou encore de la Fondation arabe pour l’image ou de l’USJ. Tarek Nahas vise à positionner la photographie en tant que médium à part entière sur la scène artistique libanaise et à initier le public libanais à cet art encore mal appréhendé par certains.

 

Le document et le territoire

 

L’exposition se déploie selon trois thématiques principales:

Le Territoire: à travers l’appropriation du lieu par le regard, l’artiste transforme le paysage en territoire universel ou en territoire intime. Cette mutation est illustrée dans les magnifiques œuvres de Manoug Alémian, photographe du ministère du Tourisme libanais, à qui l’on doit l’image du Liban idéal; ou bien dans celles de Nadim Asfar, photographe contemporain, dont le travail reprend la formation géologique du terrain par la médiation de couches poétiques, esthétiques, philosophiques.

 

La seconde thématique explore le Document à travers le motif de la guerre du Liban. Les photojournalistes des années 1975 à 1990 mais aussi Joana Hadjithomas et Khalil Joreige suscitent un questionnement sur l’absurdité de la guerre à travers les stigmates qu’elle laisse sur les êtres et les choses. Ces photographies ont des formes narratives aussi bien réelles que fictionnelles, qui s’inscrivent dans l’engagement éthique de ces artistes.

 

Enfin la thématique de l’Intime franchit la frontière de l’enveloppe corporelle et épouse l’essence des êtres. Le travail de Saro avec ses portraits colorisés des années 60 ou 70, ou aujourd’hui celui de Ziad Antar ou de Gilbert Hage, interrogent la complexité du rapport au lien familial, à l’érotisme ou encore à la mort. Quant à Roger Moukarzel, il met en abyme l’espace privé des collectionneurs dans une grande installation qui dévoile une vingtaine de collections saisies dans leur environnement d’origine et qui constitue un hommage rendu à ceux qui ont cru en la valeur artistique de ce médium et ont apporté leur soutien aux artistes-photographes.

 

Hommage à Paul Guiragossian

 

Dans la suite du Focus se place la septième édition du Byblos Bank Award qui décerne le prestigieux prix de photo Byblos Bank, récompensant les talents émergents et favorisant leur exposition auprès des collectionneurs et du public. Le second point d’orgue de cette manifestation est l’hommage rendu à Paul Guiragossian dans la section Lebanon Modern, à l’occasion de la commémoration du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition. Ce maître incontesté a laissé au Liban et à la postérité une œuvre foisonnante où transparaissent à chaque détour son humanité profonde et sa tendre poésie.

 

La rétrospective qui lui est dédiée au sein de BAF est conçue en étroite collaboration avec la Fondation Paul Guiragossian. L’événement se construit autour de la dernière monographie à paraître (Sam Bardaouil & Till Fellrath) qui lui est consacrée, et qui rassemble un nombre impressionnant d’archives photographiques et journalistiques permettant de dresser d’une manière quasi scientifique le portrait de l’œuvre et de l’homme. Ces documents, complétés par des enregistrements sonores et vidéo, sont présentés pour la première fois au public dans le cadre de l’espace «muséal-art-moderne» de la foire.

 

L’hommage à Paul Guiragossian se prolonge par un tribut rendu aux collectionneurs qui ont su reconnaître le génie du peintre et qui ont consolidé sa place dans l’histoire de l’art, en acquérant de manière parfois compulsive ses œuvres. L’exposition dévoile ainsi certaines anecdotes truculentes sur les périples magiques de certaines toiles qui ont fait le tour du monde avant de se retrouver, des années plus tard, au sein d’une même collection.

L’on doit à Nelly Choucair-Zeidan, curatrice de l’espace Art by Bankmed 2018, une découverte curieuse et néanmoins prestigieuse. L’exposition intitulée Donelly by Nelly  nous dévoile la collection privée de la curatrice. Elle comprend plus de trente-huit figurines du peintre et designer new-yorkais Brian Donnelly (1974), connu sous son nom d’artiste Kaws. Considérée comme l’une des plus grandes collections de Kaws au monde, elle nous plonge dans l’univers ludique de l’artiste.

 

Talents exceptionnels

 

Ce dernier convoque dans son atelier de Brooklyn les caractères et les motifs populaires de l’art urbain. Il crée une déclinaison de figurines caractérisées par un graphisme, une personnalité et une biographie spécifiques. Elles mesurent de quelques centimètres à dix mètres de hauteur et utilisent des matériaux très variés tels que le métal, le bois, la résine ou le bronze. Elles sont présentes dans plusieurs musées à travers le monde. Nelly Choucair-Zeidan propose par ailleurs un questionnement esthétique et sociologique plus actuel sur le processus de fabrication artistique à l’ère du digital et de la consommation immédiate. Les petites figurines sont installées sur un sol tapissé de photos d’appareils Polaroïd multicolores, expression parfaite à la fois de l’instantané et de l’autonomie de création. Elles sont une métaphore du besoin d’immédiateté de la génération Z et de la possibilité pour chacun de s’improviser artiste afin d’exprimer sa pensée ou de dévoiler un talent insoupçonné.

 

Justement, dans l’espace Revealing by SGBL, les talents exceptionnels, repérés par les galeries locales ou internationales qui les représentent, ont l’occasion de se distinguer et de gagner une visibilité et une reconnaissance particulières. Enfin toute une série de  tables rondes sont organisées dans le cadre de la manifestation pour permettre des échanges passionnants entre les artistes et les spécialistes libanais et internationaux, autour de plusieurs thématiques comme la photographie, la passion de collectionner ou encore l’attachement au territoire.

 

Comme chaque année, Beirut Art Fair déborde de ses frontières et propose avec Beirut Art Week (du 18 au 25 septembre) un circuit artistique à travers la ville, à la rencontre d’artistes qui investissent des espaces insolites comme de prestigieuses boutiques du centre-ville. Des immersions artistiques sont également  proposées, comme une séance de cinéma de plein air ou des vernissages dans des sites exceptionnels. Enfin, Beirut Design Fair (du 19 au 23 septembre), foire complémentaire et amie de BAF, se dédie aux créateurs de meubles et d’objets et propose cette année une sélection palpitante de designers.

 

Il faudrait certainement plus de trois jours pour goûter pleinement à l’enchantement de cette parenthèse festive et artistique qui, malgré des temps moroses, laisse s’exprimer la pulsion de vie des libanais et leur incroyable désir de créer du nouveau. Car de tout nouveau surgit la vie. Longue vie à Beirut Art Fair!

 

Joëlle Hajjar

 

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  • À Bkerzay, à Deir el-Qamar, la montagne hospitalière.

    Dans cette région, les pommes de pin poussent par paire sur les branches. D’où bi kerzayn, que Ramzi Salman a transformé en Bkerzay. Tel est le nom donné à ce projet humain, écologique et artistique que le promoteur a conçu au milieu des pins sauvages.

    Le pin sera bien au cœur du projet Bkerzay, tout comme ses acolytes sylvestres et cette végétation méditerranéenne qui tient tant à cœur à Ramzi Salman, promoteur et concepteur de cette initiative, tout comme l’architecture libanaise et ce qu’il appelle «le charme du Levant».